« Alzheimer, de la disqualification à la valorisation », j’en sais quelque chose. Il y a la disqualification aux yeux des autres, de la société (ce qui n’a pas été notre cas), et il y a l’auto-disqualification de la malade, ce qui a été le cas de Janine quand par exemple elle a dit « Je suis Madame rien du tout » ou « Tu ne peux pas rester avec une femme qui ne sait plus rien faire ». En même temps elle me posait la question récurrente « Comment tu me vois? » attendant évidemment de ma part un regard valorisant, ce que j’ai fait et qui impliquait un changement de regard de ma part, comme je l’explique dans mon livre sous « Un autre regard » (p.23).
« Mystérieuses dignités » est le titre d’une des conférences. Dans mon texte » L’essentiel est que tu continues à me regarder comme un personne », je traite ce sujet à ma façon, c’est- à -dire à partir de mon expérience d’aidant, émerveillé de ce que l’aidée, en l’occurrence Janine, m’a fait découvrir et notamment la puissance de sa parole exprimant le vécu de sa maladie. Cela a fait dire à Bruno Frappat dans « La Croix »:
« Jean Witt note les paroles de son épouse qui, souvent, sont d’une beauté mystérieuse relevant d’une poésie involontaire ». Je montre dans mon texte sur l’identité de la personne face à la maladie d’Alzheimer, comment les qualités de Janine ont été mises en lumière par l’obscurité même de sa maladie…comme un chant du cygne. Puis, je montre comment Janine disqualifiée, c’est-à-dire dépouillée par Alzheimer de toutes ses qualités, garde sa dignité de personne au plan de son être même. Et Janine a elle-même revendiqué cette dignité inconditionnelle en me disant: « L’essentiel est que tu continues à me regarder comme un personne ».
Je montre aussi la grandeur de Janine, donc là encore sa mystérieuse dignité, en résonance avec la parole de Pascal: « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connait misérable. Un arbre ne se connait pas misérable. On n’est pas misérable sans sentiment : une maison ruinée ne l’est pas. Il n’y a que l’homme de misérable. Pensée fait la grandeur de l’homme ». Or les sentiments de Janine étaient toujours juste, ce qu’elle exprimait par ces paroles: « J’ai des cris dans la bouche, ils ne sont pas fous, ils sont normaux dans l’état où je suis ». Il fallait « valider » ses cris et plus généralement ses sentiments.
J’ai découvert en Pascal un précurseur de Naomi et de la méthode de validation, comme je le suggère dans mon article. « Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité. « Qu’est-ce donc « avouer » sa vérité à un malade d’Alzheimer sinon le « valider »? J’en donne un exemple à propos d’une visite de la cathédrale de Strasbourg avec Janine. Pascal explique que naturellement l’homme ne peut sans doute pas se tromper dans le côté par où il envisage les choses, « comme les appréhensions des sens sont toujours vraies ». Cela me fait penser à la parole de Janine : »Je ne peux pas me mentir à moi-même ».