« En 1963, après avoir travaillé durant 7 ans auprès de personnes âgées valides et bien orientées au sein de différentes institutions, j’ai commencé à travailler avec des grands vieillards totalement désorientés de plus de 80 ans. C’était à la maison de retraite de Montefiore, à Cleveland, dans l’Ohio.
Initialement, je voulais aider ces personnes très âgées, sévèrement désorientées, à faire face à la réalité et à parler entre elles au sein d’un groupe. En 1966, je dus admettre que les aider à affronter la réalité était irréaliste. Chacun de ces grands vieillards était enfermé dans son propre imaginaire. L’exploration des sentiments et des souvenirs encourageait pourtant chacun des participants à répondre aux autres. La musique stimulait la cohésion et le bien-être du groupe. Mais quand j’essayais de les ramener à la réalité, je voyais ces personnes se replier sur elles-mêmes ou devenir de plus en plus agressives. Cela m’a conduit à renoncer à mon objectif de les ramener à une réalité intolérable.
Une vieille dame de 90 ans chante sans cesse: « Bébé, bébé, j’suis à moitié cinglée… » Puis elle explique ainsi la raison de sa « démence » : « C’est mieux quand on est fou, car peu importe alors ce que l’on fait ».
Un autre membre du groupe, très désorienté, se lève pour quitter la pièce: « Je dois rentrer pour nourrir mes enfants ! » Je lui dis alors: « Madame Kessler, vous ne pouvez pas rentrer chez vous. Vos enfants ne sont pas là. Vous êtes maintenant à la maison de retraite de Montefiore ». Elle répond: « Je le sais, ne soyez pas idiote. C’est pour ça que je dois partir tout de suite. Je dois rentrer chez moi pour préparer à manger à mes enfants ». Aucun mode de référence à la réalité ne parvient à convaincre madame Kessler. Elle se sent inutile dans une maison de retraite. Elle a besoin de retrouver sa maison et son rôle de maman de trois enfants, pour se sentir utile. Elle s’écarte de moi en me pointant du doigt et marmonne: « Qu’est-ce qu’elle en sait et pour qui elle se prend, celle-là! »
Monsieur Rose, pensionnaire de la maison de retraite de Monteflore, accusait le directeur de l’avoir castré dans le grenier. Durant 5 ans, j’ai tenté de faire revenir monsieur Rose à la réalité. Quand le directeur a pris sa retraite, Monsieur Rose m’a dit: « Vous avez raison, il ne m’a jamais rien fait. Je suis un bon à rien, je l’ai toujours été ». Ce furent les dernières paroles qu’il m’ait dites. Il lâcha sa canne et plus jamais ne marcha.
Désormais, il fait courir ses doigts sur le bras du fauteuil roulant, en murmurant sans cesse: « 105, rue Buckeye… » C’est l’angle de la rue où se trouvait son cabinet d’avocat. Il martèle constamment son genou gauche, que la maladie de Paget fait souffrir, tout en disant – « Damné juge ! Damné juge!… »
Son père lui avait dit, bien des années auparavant: « Tu n’arriveras jamais à rien. Tu n’es qu’un bon à rien !». Sa soeur m’a expliqué qu’il ne s’était pas vraiment réalisé dans la vie. Comme un bon petit gars, il avait ravalé sa rage, sa blessure et sa culpabilité. Il avait écouté son père; son père qui l’avait « castré » avec des mots, et le directeur était devenu le symbole de la figure paternelle.
Arrivé à un âge très avancé, tout seul dans sa chaise roulante, il luttait pour se soulager de sa rage et de son sentiment de culpabilité. Il était entré dans l’étape finale de la résolution. Je ne l’ai jamais écouté quand il accusait ces figures paternelles de l’avoir blessé. Il voulait que je reconnaisse sa colère. Il accusait le juge, le directeur, les médecins et Dieu, d’avoir ruiné sa vie. Tous étaient des figures paternelles. Dans le passé, son père l’avait puni en l’enfermant dans le grenier familial. Aujourd’hui, s’il retourne dans ce passé dire à son père ce qu’il a ressenti ce jour-là, c’est pour tenter de retrouver son amour et justifier son existence dans le monde. Personne ne l’ayant validé, il se débat tout seul. Ses mouvements deviennent de plus en plus restreints. Abandonnant progressivement toute raison de vivre, il végétera jusqu’à la mort. Non validé, il passe de la phase 1, mal orienté, à la phase IV, état végétatif désorienté.
Monsieur Rose et tant d’autres comme lui m’ont amenée à abandonner l’usage de la réorientation dans la réalité avec ces grands vieillards désorientés. J’ai compris qu’ils ont la sagesse de survivre en retournant dans leur passé. Ce sont ces personnes avec lesquelles j’ai travaillé qui m’ont enseigné la Validation®. »
NaomiFeil, Extrait de Validation, la méthode de Naomi Feil.