Témoignage : Alzheimer vécu à deux

Extrait de « La maladie d’Alzheimer vécue à deux »

« J’avais l’impression d’être en présence d’une personne qui n’était ni une malade classique, ni une folle proprement dite, mais d’une « personne singulière » qui devait être traitée de façon spécifique par ses proches ainsi que par la société tout entière. J’ai alors entrepris de préciser en quoi consistait le statut existentiel singulier de ce genre de « malade » et, conjointement, je me suis efforcé de mettre au point, par tâtonnements expérimentaux prudents, une pratique conviviale appropriée. […]

En quoi peut bien consister ce  » travail de mémoire« […]

Elle manifeste son désir de « donner un coup de main ». Malheureusement, comme … elle est plus encombrante qu’efficace, elle est rarement bien accueillie et elle doit reprendre ses tristes errances dans le couloir….Dans les institutions…je n’ai nulle part trouvé quelque chose à lui proposer,…, car nulle part le personnel n’était suffisamment disponible pour accueillir favorablement ses tentatives. [..]
Les comportements de refus …jouent un rôle thérapeutique utile… En s’opposant …elle manifeste son désir d’être considérée comme une « personne à part entière », une personne qui sait « ce qui est bon pour elle », comme quelqu’un « qui a son mot à dire ».
Elle manifeste ainsi son autorité… Il s’agit là de « crises d’affirmation » […]
Au point où j’en suis de mes observations et de mes réflexions, je pense que …  » la maladie d’Alzheimer » est un profond dérèglement vital mais ni une maladie… ni une folie. C’est, selon moi, un changement d’identité… L’identité ainsi obtenue s’apparente étroitement à l’identité dont elle est issue mais elle s’en distingue…notamment dans les rapports que la « nouvelle personne » entretient avec l’espace, avec le temps et…avec la société en général. […]

En ce qui concerne les institutions habilitées à accueillir des Alzheimériens, cet accueil ne peut être satisfaisant pour la personne concernée … que si le personnel a reçu une formation spécifique, que si son attention a été attirée sur le fait qu’il aura à traiter des personnes d’un « commerce » parfois difficile,… mais des êtres qui sont susceptibles de se révéler attachants à l’usage. […]
L’idéal serait que chaque Alzheimérien soit suivi par un tuteur… qui s’entoure d’un »groupe convivial d’accompagnement ».
Cette équipe recevrait pour tâche de constituer autour de la personne en difficulté un embryon de société, un petit noyau de personnes auquel celle-ci s’habituerait, une mini société qui serait à son écoute, attentive et chaleureuse.
Ainsi la personne « déboussolée » trouverait-elle un milieu adapté à son état singulier, connaîtrait-elle un mode de vie parsemé de moments de bonheur, retrouverait-elle des raisons de vivre.

Jean Sauvy, Edition l’Harmattan