Témoignage de Virginie Aupitre – Symposium 2014

« Voilà, c’est fini…Ces deux jours se clôturent, tout le monde repart dans son univers, retourne à sa vie. Mais comment ? N’y aurait-il pas là aussi un avant et un après symposium ? Comme l’a évoqué T. Chatel, aller vers l’altérité de cet Autre nécessite peut être d’aller un peu plus vers la nôtre en premier lieu car comme le disait Rimbaud : « Je est un Autre »…

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Je marche pour aller récupérer mon train et les mots, les images, les sons, les émotions diverses parcourent ma tête, mon corps. Il était question de vulnérabilité, de joie, d’empathie, de vieillesse, de mort, de couleur, d’éthique, de relation, de talon d’Achille, de chiffres, de neztoile, de lien, de mourance, d’accompagnement, de trait d’union, de rire, de tristesse, de «bullothérapie », de souffrance, de bonne proximité, d’épuisement, de Japon, d’intégrité, de plombier, de bouts de vie « non terminés », de paons, de vieux, de poésie, de regard, d’audace, de dignité, d’acceptation, de cadeau, de respect, de rencontre, de passé, d’exister, de force, d’âme, de présent, de voyage,… Je laisse tout cela circuler en moi. Comme nous y invite N. Feil avant d’aller vers l’autre, je m’étais centrée pour ce symposium pour pouvoir acceuillir, prendre au vol tout ce qu’il y aurait à prendre, tout ce qui me parlerait, résonnerait, me questionnerait, me surprendrait, m’émerveillerait,…Bref ! j’étais disponible et j’ai été comblée !!

 

Je me suis laissée emporter par leur vison respective. M. Billé et N. Feil nous invite à regarder la vieillesse comme un « incertain voyage vers soi » et pour  accompagner ces personnes dans leur voyage, à nous de « sauter dans leur monde émotionnel » afin qu’elles puissent y mettre de l’ordre à leur façon. Ceci nécessite d’accueillir leur comportement comme un « langage » porteur de sens même s’il nous restera le plus souvent étranger.  En Effet, l’important n’est pas dans le sens ni dans la compréhension, mais plutôt dans l’acceptation qu’ils ont besoin de « mettre ensemble ces bouts de leur vie non terminés » (N.Feil) pour pouvoir mourir en paix avec eux même. Le dernier travail peut se faire dans la souffrance comme nous le rappelle T.Chatel, une souffrance qui va être « créatrice de lien », lien qui permet à l’Autre de se sentir Exister, relier afin d’éviter de tomber dans les abîmes les plus profondes et sombres de son être et de s’y perdre. Nous avons besoin  de l’autre comme nous le dira J.Maisondieu, On ne peut pas « se détacher de l’autre »et de ce fait, être en lien devient une nécessité pour tous et chacun.

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Aller vers cet Autre, le rencontrer, l’accompagner, échanger, maintenir, restaurer le lien… Oui, c’est mon rôle, ma fonction, mon travail, mon envie…Mais attention, P. Narme nous rappelle que l’épuisement émotionnel dans la relation n’est jamais très loin. En effet, de quoi parlons-nous ?

 

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Accompagner, rencontrer, échanger, oui, mais avec cet Autre qui dit ou fait des choses bizarres, qui peut être malade, peut être en souffrance, mais dans tous les cas nous parlons de personnes qui se rapprochent de la mort, qui vont mourir, qui sont en « fin de vie »… C’est bien de cela dont il s’agit, comment faire pour ne pas s’y perdre soi-même ? Car de fait, cet autre vient faire écho en moi et me renvoie à ma propre vieillesse, mes propres pertes, ma propre mort souvent accompagnés d’inquiétudes, de peur, d’angoisse. La vulnérabilité de l’autre fait émerger la mienne que je peux me prendre comme une claque violente qui peut me paralyser, me grignoter, me faire fuir, me faire rejeter cet autre. E.Fiat nous explique que cette vulnérabilité est « l’essence de l’Homme », elle fait partie de nous. Nous pouvons la considérer comme une sorte d’alliée car  elle est nécessaire pour aller vers cet autre à condition de choisir de faire avec plutôt que de chercher à la « gommer », à l’occulter.

Nous avons tous notre « talon d’Achille », il est nécessaire d’en avoir conscience, nécessaire de le connaitre, nécessaire de l’accepter. Si je rejette ma vulnérabilité, je ne pourrai pas accueillir celle de l’autre et le regard que je porterais sur cet autre pourrait à ce moment-là, lui « faire perdre le sentiment de dignité » le réduisant à des manques, à des pertes, à des « il ne peut plus… », à un « demi homme », à un dément, à un mourant.

Sandra Meunier

Donc dans la relation, à nous d’accepter et surtout se servir de notre vulnérabilité, de notre fragilité, de nos limites, de nos failles et comme nous y invite S. Meunier « soyons vulnérable au niveau du cœur, c’est là notre force ».Une force soit, mais qu’il faut réguler, moduler afin de ne pas tomber soit même dans nos propres abîmes et se consumer de l’intérieur. « Prenez soin de vous » nous clame N.Feil lors de ses conférences et nous propose de nous centrer pour aller vers une attitude empathique. L’empathie ! Beaucoup ont parlé de cette attitude. Souvent galvanisée, vulgarisée, il est délicat d’en saisir, d’en appréhender le sens. En effet, bien plus que de la comprendre, l’empathie se ressent et nous permet d’aller au plus près de ce que peut ressentir l’autre pour pouvoir le rejoindre le temps d’une rencontre. Je voyais l’empathie comme une attitude qui me protégeait et protégeait l’autre durant la rencontre. J’ai pris conscience que cette attitude qui me parait être la plus juste par rapport à une position d’accompagnement, pouvait se révéler néfaste voire dangereuse suivant la façon dont on l’appréhendait. B.Quentin explique que l’empathie « n’est pas un gage de moralité ». Il avance le concept d’empathie égocentrée où là, l’accompagnant peut faire mal sans le vouloir » de par l’écho en nous que le vécu de l’autre nous renvoie, nous envahi et ne nous permet pas d’accéder à cette attitude d’accueil.  Ne revenons nous pas là à nouveau à cette question de la prise de conscience nécessaire de notre vulnérabilité ? Quoi qu’il en soit, J. Maisondieu nous met lui aussi en garde par rapport à l’empathie. Il préfère parler de respect. En effet, pour lui, l’empathie « devrait être d’accepter la ressemblance avec l’autre et sa différence », ce qui constitue un paradoxe dans lequel il peut nous être difficile de nous y retrouver. Lorsque je vois l’Autre comme un semblable je peux me sentir en sécurité mais sa différence peut me déranger, me faire peur, me dégouter…Il avance que dans nos sociétés, la différence chez la vieille personne n’est pas acceptable du fait même qu’’être vieux, mourir est intolérable, rejeté, dénié. Il faut être jeune et le rester, tout nous y pousse bien malgré nous comme un conditionnement dès la naissance. De ce fait, d’une certaine façon, l’empathie est en quelque sorte pervertie puisque je ne peux pas accepter sa différence de part un conditionnement ancré en moi qui a développé inconsciemment un « mépris » face à la vieillesse, face à la mort.

Lydia Müller

Et, de l’autre côté, cet Autre, ce vieux a également ce « mépris » de cette vieillesse et chercherait à devenir  un autre, « il s’sacrifierait son être à son paraitre et s’aliènerait » (Maisondieu).

C’est ici que je me dis que peut être l’apport et la vision de N.Feil peut nuancer les choses. En effet, dans son hypothèse, dans le grand âge, le vieux empreint de sagesse fait son bilan de vie et cherche à intégrer sa vie, donc à s’accepter tel qu’il est pour mourir en accord avec ce qu’il est, ce qu’il a fait, ce qu’il ne sera jamais et ou ce qu’il aurait voulu être, quitte à devoir prendre des chemins de traverse.

Cette acceptation de soi ne pourrait-elle pas aussi concerner ce « mépris » pour la vieillesse, pour la mort, cette vision sociétale ? Et si ce vieux est dans une acceptation de ce « mépris » ou sur le chemin, n’y aurait-il pas là un effet sur le notre au travers de l’empathie permettant, dans un sens, de nuancer le paradoxe qu’elle peut engendrer ?

De plus, en prenant conscience de cette notion du respect que Maisondieu avance, cela pourrait peut-être renforcer cette nuance. En effet, dans le respect comme il le souligne se trouve une profonde « estime de soi mais aussi de l’Autre »

Gérard Ribes

Adopter une attitude empathique avec la conscience du respect, de la valeur de l’autre, mais aussi de notre vulnérabilité peut être une façon d’aller vers cet Autre d’une manière plus juste avec l’idée de pouvoir éviter toujours un peu plus, les embuches qui parasitent la rencontre.

Toutes ces réflexions qui me viennent sont riches avec cette envie présente d’être toujours au plus près, de façon la plus juste de et vers cet Autre…

Au milieu de tout ce bourdonnement de questions, de réflexions, j’ai été emmenée dans un autre monde par cette Annabelle, cette neztoile qui m’a surprise au départ puis complètement embarquée dans ce qu’elle proposait à savoir de la JOIE. Cette position, cette vision, nous accompagne vers une rencontre d’Etre mais aussi vers une rencontre d’âmes. Merci pour ce moment, ce cadeau, ce moment de grâce pétillant, haut en couleur, en émotions, qui nous rappelle où peut être l’essence de l’humain et ce avec beaucoup d’audace comme elle nous invite à en avoir dans la relation…

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Et puis M.Billé a clôturé cette parenthèse où nous étions rassemblés pour écouter, se poser, réfléchir, se questionner, prendre du recul… En quelques mots au travers d’une fable peu connue de J.De La Fontaine (ou pas lol) il nous a permis de tisser avec ce fil de soie ce lien entre tous les regards proposés durant ces deux jours, d’apporter ce trait d’union afin que tout prenne un sens dans un regard commun en prenant à cet instant précis, conscience que finalement quelques soit l’angle choisi, les mots utilisés, les façons proposées, nous regardions tous dans la même direction et que nous nous rejoignons tous vers une chose : l’envie, le désir, la conscience de prendre soin de nous, de notre fragilité pour aller toujours plus à la rencontre de cet Autre, toujours au plus près de cet Autre, toujours un peu plus, mais toujours tout court…

Merci à tous et chacun… »

V. Aupitre