Le vieillard, le clown et l’éthique…
Ayant vécu longtemps, un vieillard espérait
Mourir de sa belle mort, partir comme il souhaitait :
s’éteindre, s’endormir… De ce qui l’attendait
Il ne redoutait rien, mais il se préparait
A quitter doucement ceux qu’il avait chéris,
Certains toujours vivants, d’autres déjà péris
On ne décide pas, quand on finit sa vie
Qui sera le premier ou le dernier parti.
Notre homme était ainsi choyé :
Son notaire ayant préféré
Ne pas retarder le partage
On ne sait jamais à cet âge
Ce que la maladie peut faire
Et ce qu’Alzheimer peut défaire…
Ce qui peut advenir ou non
Pour peu qu’on perde la raison…
Discrètement pour précipiter l’héritage
Et tirer à la fin de menus avantages
Ses enfants attristés avaient tout essayé :
Le faire passer pour fou, pour dément, aliéné,
Demander la tutelle, l’empêcher de voter,
Couper le gaz enfin ! Qui peut imaginer
Dans la tête d’un vieux ce qui peut se passer ?
Et s’acharner encore pour le faire rentrer
Dans un établissement fermé, sécurisé,
Dont il ne sortirait pas sans le demander
L’âge expliquant parfois qu’on tue la liberté…
Notre vieillard n’en eut que faire,
Refusa de se laisser faire…
Il préférait son domicile
Et son quotidien difficile…
Chaque jour il était visité
Choyé, soutenu et aidé
Par celle qu’il appelait « Ma fée »
Une jeune femme épatante
Qui le regardait, souriante,
Le comprenait, le soutenait
Sans qu’il n’eut rien à demander
Que de se faire accompagner.
Quand on lui demandait à elle
A quoi tenait son art, son zèle
Disait, levant les yeux au ciel:
« C’est que je suis un clown, une « neztoile », Annabelle
« L’empathie, vous savez, cet homme est vulnérable
« Je voudrais simplement lui être secourable…
« Je me mets en miroir, autant que je le peux
« J’essaie de le comprendre enfin au moins un peu…
« Bien sûr il est un peu désorienté parfois
« Sa mémoire le lâche, il oublie, je le vois…
« Il s’inquiète, il a peur, il est triste parfois
« Mais quand il tient ma main il sourit et, ma foi,
« J’aime penser qu’il est apaisé et heureux…
« D’ailleurs je le vois bien, ça se lit dans ses yeux »
Elle avait compris que l’éthique
N’est pas qu’une intention magique…
Écoute, empathie, attention,
Permettent la « validation »
De ce que l’autre veut nous dire
Même quand il ne peut plus le dire…
Morale :
Tu nous précèdes un peu, toi, vieillard vulnérable
Tu parles de ta mort et tu la vois venir,
Tu pleures, tu souris, te prépare à partir…
Nous qui t’accompagnons te sommes redevables…
Michel Billé
